Entre chien et loup
Il fut un temps ou les argentins, je veux dire les colons, furent de fameux " cow boys ". A ceci pres qu´au lieu de chasser la vache ou le bison, ces buffalo bill d´avant l´heure traquaient le Quecha ou le Guarani. Une fois ces grands espaces ethniquement nettoyes, on les a rationnalise , a l´europeenne, avec des mesures et des cordeaux, afin d´en tirer un max de profit dans l´elevage intensif. Maintenant, les gauchos meme se font rares. Leurs chevaux, galopant a bride abattue dans la pampa, ont ete vaincus par les chevaux de frise. On a mis partout des clotures aux cavalcades. Quelques richissimes familles se sont arroges les grands espaces ( imaginez le plaisir que ce doit etre d´arriver en haut d´un col des Andes et de proclamer triomphalement, en embrassant d´un grand geste l´horizon devaste, " ceci est a moi " ! ) en une poignee d´estancias parfois aussi grandes que la Belgique . On ferait tenir toutes les favellas du Bresil et de l´Argentine dans l´un de ces champs que les bovins, alourdis de grasses provende, mettraient plusieurs a traverser d´un bout a l´autre. Les premiers arrivants ont donc emis leur "droit "de propriete et tiennent toujours leur fief avec une sorte de feodale opiniatrete.
Symbole de ce culte de la propriete: les chiens. Chaque proprietaire a sa chasse gardee, sa meute attitree de cerberes. Les bovins ne passent pas entre les fils de fer barbeles. Les chiens, si. Toute personne ayant l´impudence de passer un peu trop pres de la sacro sainte estancia sera chasse jusque sur la route , avec a ses trousses une ou plusieurs furies aux abois. Pour esperer entrer dans une estancia, il faut tenir un siege d´au moins plusieurs jours , ou prevoir une fiole d´arsenic ainsi qu´un morceau de viande empoisonnee. C´est a se demander si , pour etre sur qu´on aille pas d´aventure brouter leur filon d´herbe, ces invisibles Harpagon n´ont pas eu soin d´incoculer la rage a leur faction sur pattes. Cette maladie sevit en Amerique du sud plus que partout ailleurs.
Je suis maintenant aux prises avec trois de ces cabots. L´un d´entre eux est particulierement alleche par mes mollets, toutes crocs dehors, de l´ecume plein la gueule, et m´oblige a stopper net, le velo entre lui et moi servant de rempart. Le tout est de savoir si c´est du bluff. Je repense aux terribles symptomes de la rage ( gorge qui se noue, convulsions, impossibilite de boire de l´eau , SIC! ) en le voyant s´approcher, menacant, et commence a m´egosiller en brandissant ma chaine d´antivol . Le niveau d´ecume commence a descendre. Second coup de gueule .Il faut volte face, le ladre! Aussitot que je remonte en selle et lui tourne le dos, l´assaillant relance un assaut, bondissant dans les herbes hautes. Je suis oblige de reiterer 3 fois l´operation descente du velo / protection derriere le velo / hurlement d´homme de cro magnon nez a nez avec un mammouth ( mais j´ai un doute sur la coexistence de ces deux poilues d´especes ) avant que le colosse ne se satisfasse de la distance. Je repars , la voix completement felee. Avec juste un peu plus de coffre, j´aurai renvoyer le chien des Baskerville a la niche, la queue entre les jambes. Maintenant, je peux le dire. C´etait du bluff , je ne l´aurai jamais mordu .