Le col de Roncevaux
C´est a Durandal, l´epee de Roland, que nous allons devoir notre passage des Pyrenees ( et tout de meme un peu a nos mollets ). Le vaillant paladin aurait, selon la legende, taille une breche dans ces remparts naturels, d´un coup d´epee circulaire. Moi franchement je regarde tour a tour mes mollets et la montagne au pied de laquelle on semble etre arrives, et me dit que ce n´est pas gagne. Si apres Durandal les bottes de sept lieues pouvaient aujourd´hui m´aider a enjamber cette barricade ( on a deja franchi plusieurs barbacanes, on s´attaque au gros morceau ) , ca serait pas de refus. Vincent, qui du fond des ages semble avoir herite des genes d´Hercule et n´a pas l´air de connaitre la fatigue, devrait passer ca plus facilement. Pour lui c´est comme jouer a saute moutons avec des rochers un peu plus grand que lui ( il mesure un peu plus de 2 metres ) . Quant a moi, il va me falloir tirer le col metre apres metre, lacet apres lacet, en laissant a la pente un genereux tribut de sueur. En effet, ce n´est pas gagne. 10 km de montee... Pas d´embuscade d´aucun sarrazin planque dans un defile ou ds un tournant, notre seule adversaire: la pente. 15 km, 16 km... Un deuxieme adversaire se fait bientot sentir: la faim, qui creuse aussi dans le ventre sa breche et les forces vont s´amenuisant... 17 km. A l´aide, mon ventre sonne l´olifant. Borborygmes, bruits dans l´estomac comme un eboulis de pierres. 18 km. Victoire! Vincent, triomphant, monte sur la stele commemorant la bataille de Roncevaux. L´aigle de l´orgueil s´envole des gonfanons. Oyez les troubadours qui font tourner leurs laisses epiques. L´epopee se reecrit a coups de pedale. Bon, c´est un debut. Notre chanson de geste est a son premier pallier de gloire et de hauts faits ! Ce ne sont que les Pyrenees qui nous adoubent. Un jour nous irons buter de plain pied contre les Andes et, qui sait ,peut etre l´Himalaya. Un lillois jovial et bedonnant tance gentiment Vincent toujours perche sur sa stele et lui reproche de faillir a la memoire du grand empereur. Autours il y a plusieurs marcheurs sur la route de Compostelle. Le lillois nous apprend que l´arriere garde l´armee de Charlemagne aurait ete decimee, selon les historiens, non pas par les sarrazins par des basques bondissants. Il y aurait aussi eu des basques dans les vols du 11 septembre...
Bon pour ceux qui aiment les chiffres, sachez que les 18 km de lacets ont ete denoues en 3h . Rapide calcul. Hum... Bon c´est a peu pres l´allure d´un moine tibetain qui gravit le Potala sur les genoux, ou de Jesus gravissant le Golgatha croix sur les epaules. Mais je repete a notre decharge qu´il s´agissait du premier col. Quand meme, il va falloir se faire les jambes. Maintenant qu´ils ont reintroduit des ours... Imaginez les a nos trousses A cette vitesse, on aurait jamais pu les semer.
Des croix de fortune ont ete posees a la va vite, ex votos des pelerins de passage ou des touristes attardes. Les crois sont faites dans tous les bois possible et imaginables. De loin, le tout ressemble a un lacis de fils barbeles ou a des ramures intriquees. Le christ est ecartele de croix en croix, peint grotesquement, tantot badigeonne de couleurs criardes comme dans la peinture expressionniste allemande , tantot un peu jaune et maladif comme celui de Gauguin. Je crois revoir les chromos ridicules vendus pele mele sur les etalages de Lourdes. Les christ pharmaceutiques, les christ en pates, les christ en lanterne magique... Le Christ et Ronald bras dessus bras dessous dans les rues de Manhattam et dans les box de Wall Street. Je reste assez longtemps devant cet etrange tableau. Le messie torture tout de ginguois sur des branches qui ploient dans le vent, chatouille par des aiguilles de pin. Certains laissent des casquettes ou autres effets personnels. Il faudra s´habituer a cette foire, a cette foi un peu extravagante, melee de folklore, de tradition, de tourisme, de superstition. Bientot, ca sera lÁmerique du Sud, et l´Evangile comme un grand carnaval.