L'usage d'une oeuvre

Publié le par Mickael

Nicolas Bouvier est un sentier battu et rebattu. On l'a tellement lu qu'en a preque effacé les traces, arasé le relief. Et pour cause: on l'a souvent lu trop vite. Une fois en main les clés de la Ford, on a fini par faire faux bond à son conducteur, resté seul à cuver les échos d'un orchestre tzigane ou bien marcher sur des  " îles sans mémoire " où il n'y a à priori rien à voir. Pour nous, le voyage se verse à grandes rasades de paysages et de péripéties. Et de cette voix, qu'on entend sourdre du coffre par intermittence, il reste cette sorte d'assentiment tacite, cette carte blanche qu'on s'empressera d'ouvrir en grand sur les trépidations du capot, avec l'étrange volupté de n'y rien voir, et surout pas trop de scrupules et de questions. " Un voyage se passe de motifs, il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, on vous défait... " La belle affaire. Impression d'avoir passé la première douane sans plus avoir à se vider les poches qu'à se creuser le cerveau. Et tant qu'on aura pas l'incidence, ou devrais-je dire la providence, d'une ornière un peu mesquine sur une route quelconque d'Inde ou d'un hiver infranchissable à Tabriz, on passera chapitres et méridiens,  à tombeaux ouverts. Sans autre " usage du monde " que la vitesse et le prochain virage.

Publié dans cyclotropisme

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